Story

LA TENDRESSE DU CRAWL

Colombe Schneck

(Extraits)

     "Je pense à mes gestes, le bras sans effort hors de l’eau, la main tendue qui plonge et ramène l’eau sous le corps, sans s’écarter, je reprends de l’air, la tête sur le côté encore enfoncée à moitié, la bouche à moitié ouverte, pour que l’eau ne rentre pas, je souffle l’air sous moi, en en gardant un peu, je suis allongée sous l’eau, marquant ce moment en battant mes jambes plus fortement. J’avance, mon bras lâchant prise dans l’air, vingt longueurs de crawl, alors que j’étais incapable d’en aligner plus d’une, avant qu’il ne me montre ce que signifiait, ralentir.
     L’euphorie me prend alors que l’eau tiède caresse mes bras, mon ventre, mes cuisses, je m’allonge."

 

Pour Chlore,

A 50 ans, je suis devenue une nageuse de crawl, j’aime l’eau, j’aime même l’eau chlorée, j’aime les piscines, leur architecture des années 30, 50, 70, les carrelages, les vestiaires, la douche sur les épaules, dans le dos, sur la tête, mais je n’aime pas les maillots de bain proposés aux sportifs.
Pourquoi, parce qu’on aime nager, on devrait aimer les matières molles qui se
détendent, ne tiennent pas le corps, les couleurs criardes, et les marques étalées sur le ventre ?
J’ai donc cherché, pendant plusieurs mois un beau maillot.
Dans l’idéal, je rêvais de lycra épais qui soutienne les seins, affine le ventre, dégage les épaules. Je voulais du noir, du bleu marine, même du rouge, une couleur franche, simple.
La forme devait être sobre, mais avec quelque chose de sexy qui ne l’affiche pas. Et enfin qu’il ne coute pas un bras.
Et j’ai trouvé Chlore.
J’ai acheté un premier modèle, le Molitor, bleu marine et noir, une fermeture éclair sur le devant, que je baisse ou remonte selon l’ambiance, et les nageurs autour de moi, puis j’ai rencontré Hélène et Franck, les créateurs. Ils m’ont offert un modèle rouge vif avec de belles découpes dans le dos, le Roubaix, je vois bien que les autres nageurs le regardent.
Puis, j’ai essayé, le Max en vert sain (très décolleté dans le dos et très montant sur le cou) là c’est moi qui ne peux pas m’empêcher de me regarder dans la glace.

Hélène et Franck se sont rencontrés étudiants, ils avaient 20 ans. La nuit, ils sortaient, buvaient, dansaient, Le jour, ils lisaient, se passionnaient pour l’Art, le design, la littérature et allaient nager. Hélène parce qu’elle est la fille d’une championne de France de Natation, Franck parce qu’il est le fils d’un navigateur.
Hélène qui s’était lancée dans la mode, cherchait un maillot de nageur, comme en rêve toutes les nageuses. Une qualité d’un lycra très haut de gamme qui ne s’abimerait pas dans l’eau chlorée, un dos fluide pour la séduction, des couleurs profondes qui embellissent l’allure.
Franck qui a fait des études de commerce et de marketing tout en restant passionné de design et d’architecture, lui a proposé qu’ils se lancent, créent leur marque. Elle s’appellerait Chlore.
Cette odeur singulière et brut, qu’on redoute puis qu’on aime et qui enivre les nageurs.
Hélène a cherché la plus belle matière, et l’a trouvée en Italie, ce lycra qui tient le corps et dont rêvent tous les nageurs.
Le logo est dessiné par Eric Beckman, le directeur artistique du magazine Lui. Il est parfait.
Les premiers modèles, le Molitor, le Roubaix, à peine dessinés par Hélène sont déjà des classiques.
La ligne est repérée par les marques les plus luxueuses du secteur (la fondatrice d’Ères, la dessinatrice des maillots Hermès), elle est tout de suite distribuée au Bon Marché, aux États-Unis, en Espagne.
Ils s’installent à côté de la Piscine, le musée d’art contemporain de Roubaix.
La devise de leur marque est « Pas un jour sans écrire, créer, lire, nager…
Chlore, c’est exactement cela.

- Colombe Schnek

 

Colombe Schneck est écrivaine, journaliste et réalisatrice.
Elle est l’auteur d’une dizaine de récits et romans dont
La Tendresse du Crawl (Grasset) et Nuits d’été à Brooklyn (Stock)